Le 29 mars 2025, Netflix publie une mini-série documentaire intitulée "De rockstar à tueur : Le cas Cantat". En trois épisodes saisissants, la plateforme revient sur l’un des faits divers les plus glaçants des années 2000 : le meurtre de l’actrice Marie Trintignant, frappée à mort par Bertrand Cantat, alors chanteur emblématique du groupe Noir Désir.
Avec plus de 2 millions de visionnages en moins de trois semaines, ce documentaire soulève une question centrale et délicate : "Peut-on encore séparer l’homme de l’artiste ?". La réponse, pour certains médias, est sans appel.
C’est le cas de Vibration, une radio régionale basée dans le Centre-Val de Loire, qui a annoncé qu’elle ne diffuserait plus aucun morceau de Bertrand Cantat, ni en solo, ni avec Noir Désir. Cette prise de position, aussi symbolique que forte, alimente un débat complexe mêlant justice, mémoire, culture, et responsabilité médiatique.
Le documentaire Netflix : entre archives et émotions brutes
Un récit à charge ou une œuvre de mémoire ?
La série documentaire diffusée sur Netflix adopte une posture assumée : elle ne revient pas seulement sur les faits, mais interroge également la manière dont les médias ont traité cette affaire de féminicide. À travers des archives télévisées, des interviews inédites, et des témoignages bouleversants, notamment celui de la chanteuse Lio, elle dresse le portrait d’une omerta culturelle qui, longtemps, a préservé la carrière du chanteur malgré la gravité de ses actes.
Ce que le documentaire met en lumière, c’est la dissonance entre la gravité des faits reprochés à Bertrand Cantat – condamné en 2004 pour les violences ayant entraîné la mort de Marie Trintignant – et la poursuite quasi normale de sa carrière musicale par la suite.
Le silence des proches de Noir Désir
Face à ce traitement qu’ils jugent "orienté", les anciens membres de Noir Désir, à commencer par le batteur Denis Barthe, ont décidé de boycotter la production du documentaire. Selon ses déclarations au Parisien, ils ont considéré que le documentaire allait "à charge" et qu'il manquait d’équilibre, en insistant davantage sur le fait divers que sur la carrière artistique du groupe.
"Ils voulaient faire un doc sociétal avec deux tiers de fait divers et un tiers de musique. À charge. Alors on leur a dit non." – Denis Barthe, Le Parisien
Le boycott de la radio Vibration : un choix assumé
Un communiqué clair et sans équivoque
Peu après la diffusion du documentaire, Vibration publie sur son site internet un billet intitulé :
"Pourquoi nous refusons de diffuser Bertrand Cantat". La station y expose sans détour les raisons de sa décision : "Aucune mélodie, aucun texte, aussi beaux soient-ils, ne sauraient justifier les actes commis."
Dans un message fort adressé à ses auditeurs, la radio interroge directement :
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Doit-on continuer à écouter "Le vent nous portera" ?
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Peut-on ignorer la gravité de ses actes au nom de l’art ?
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Ne risque-t-on pas, en diffusant ses chansons, de perpétuer une forme de silence complice autour des violences conjugales ?
Une question de valeurs éthiques et sociales
Ce boycott n’est pas qu’un acte militant : c’est un choix de cohérence éditoriale et éthique. Vibration affirme sa volonté de s’inscrire dans un mouvement sociétal plus large qui cherche à donner une voix aux victimes et à ne plus banaliser les violences, même lorsque leurs auteurs sont des figures artistiques adulées.
La carrière post-Noir Désir : un retour discret mais controversé
Bertrand Cantat : entre silence et création musicale
Depuis la dissolution officielle du groupe Noir Désir en 2013, Bertrand Cantat s’est effacé des médias, vivant entre Bordeaux et une maison isolée dans les Landes. Pourtant, il n’a jamais totalement arrêté la musique.
En fin 2024, Cantat revient avec "L’Angle", un nouvel album co-produit avec Pascal Humbert au sein du projet Détroit. Ce second opus est financé via une campagne de financement participatif sur Ulule qui dépasse toutes les attentes : plus de 217.000 € collectés contre un objectif initial de 60.000 €.
Mais très vite, la polémique enfle. Ulule se désolidarise, reversant sa commission à une association de lutte contre les violences conjugales.
Une sortie d’album dans le silence le plus total
Pas de promotion, pas de concert, pas d’interviews. Le groupe adopte une ligne de communication minimaliste. Dans un message adressé au Parisien, un membre du projet explique :
"Nous ne donnons pas d’interview, nous laissons parler la musique. C’est une sortie particulière et nous avons un double principe de précaution et de discrétion."
L’album est disponible, mais entouré d’un malaise palpable, qui questionne autant l’industrie musicale que le grand public.
Peut-on séparer l’homme de l’artiste ? Une question qui divise
Une interrogation vieille comme le monde de l’art
Le débat autour de la distinction entre l’œuvre et l’homme n’est pas nouveau. De Roman Polanski à Woody Allen, en passant par Michael Jackson, nombreuses sont les figures artistiques à avoir été confrontées à cette question, avec des réponses diverses selon les contextes, les publics et les époques.
Dans le cas de Bertrand Cantat, la violence du crime – un féminicide reconnu et jugé – rend cette séparation particulièrement difficile à justifier pour une partie croissante de la population, surtout à l’heure où les mouvements féministes et sociétaux réclament plus de cohérence entre les discours et les actes.
La musique peut-elle être "neutralisée" de son auteur ?
Peut-on écouter "Le vent nous portera" ou "Tostaky" sans penser au drame de Vilnius ? Pour certains, l’émotion artistique reste intacte, indépendante du contexte. Pour d’autres, chaque note résonne d’un silence complice, d’une mémoire bafouée.
Et pour les médias, radios ou plateformes, le dilemme est grand. Car au-delà du choix éditorial, il y a aussi un enjeu de responsabilité sociétale.
Un signal fort envoyé au monde culturel
La décision de Vibration, si elle ne mettra pas fin à la carrière musicale de Bertrand Cantat, envoie un message symbolique fort : il n’est plus possible de faire comme si rien ne s’était passé. Il ne s’agit pas de censure, mais de prise de position éthique, dans un monde où les artistes sont aussi des figures publiques, influentes, et parfois controversées.
Conclusion : Et vous, que feriez-vous ?
Le boycott de Bertrand Cantat par Vibration vient raviver un débat essentiel. Entre mémoire des victimes, devoir de justice, et liberté artistique, chacun doit faire ses choix. Ce qui est certain, c’est que l’époque de l’indulgence aveugle pour les artistes "génies" est révolue.
Peut-on encore écouter sans cautionner ? Peut-on consommer de l’art sans responsabilité ?
À vous de réfléchir. Car parfois, le silence d’une chanson en dit plus que sa plus belle mélodie.